Genesis Utopie chapitre 3

Chapitre III

Elle resta stupéfaite, incapable de bouger. Elle sentait son cœur battre, résonnant dans ses oreilles. Elle voulait fuir mais ses jambes ne lui appartenaient plus. Elle essayait de crier mais sa bouche grande ouverte ne laissait échapper aucun son. Elle fixait devant elle. Le regard dans le vide. Ces yeux… qui clignaient.

-Héloïse ?

Elle revint à elle.

– Tu m’entends ?

Elle scruta dans le noir…et vit.

– Angus ?

Un sourire se dessinait sur son visage.

– Angus.

Les larmes aux yeux, elle soupira. Angus et elle sortirent de leur cachette et se sautèrent dans les bras. Soulagée, elle resta ainsi un moment, le visage enfoui dans le torse d’Angus., les bras autour de sa taille. Elle respirait profondément, malgré les saccades que lui provoquait son chagrin. Ses larmes avaient le goût du sel. Elle s’abandonna un moment, sans desserrer son étreinte. Elle sentait les bras d’Angus autour d’elle et son visage dans ses cheveux.

Ils reprirent leurs esprits. Elle observait autour d’eux. Ils étaient dans un petit appartement insalubre, envahit par la poussière. Le lit en occupait une place importante. Une table, deux chaises. Une pendule dont les aiguilles étaient arrêtées sur 2h10. Le sol était fait de vieilles planches tachées, noircies par la poussière. Une ampoule pendait tristement au plafond. Outre la porte menant sur le palier, deux s’ouvraient sur d’autres pièces. L’une était très étroite et comportait un poêle à bois, sur un bloc de pierres de dix centimètres d’épaisseur. Des bûches gisaient au sol, près d’une marmite renversée dont le maigre contenu s’était répandu en une bouillie grise et visqueuse. Deux cuillères reposaient dans leurs bols, sur la pierre, toujours dans l’attente d’être remplis.

La dernière pièce était composée d’un robinet, au bout d’un tuyau en ferraille rouillée. Un seau en bois à côté. Des vêtements jaunâtres semblaient sécher sur une corde, tout près.

Le logement ne comportait que ces trois pièces et reflétait le très faible niveau de vie de ses anciens occupants. Héloise et Angus se regardèrent. Il fallait prendre une décision.

– On ne peut pas rester ici. Regarde autour de nous, il n’y a rien.

La voix d’Héloïse était sourde alors qu’elle prononçait ces mots. Il ne pouvait qu’acquiescer.

– Oui, en plus il n’y a pas de nourriture.

– Rien du tout ?

– Pas dans cette maison en tout cas.

Elle souffla.

– Et les soldats ? Ils vont revenir , tu crois ?

– J’en sais rien. Avant que tu n’arrives, j’étais étonné de trouver la place du village vide, alors je suis allé voir dans les maisons alentours. Personne n’a répondu quand j’ai frappé aux portes.

– Tout le village ?

– On dirait bien.

– Mais ils sont où ?

Il haussa les épaules.

– J’en sais rien.

– Donc, on est seuls, tous les deux et on n’a rien à manger.

– Si, je suis parti avec des bricoles.

Il tira un petit sac en toile de sous le lit. À l’intérieur se trouvaient des bocaux : haricots, petits pois, tomates pelées, carottes, abricots et trois petits pains. Une bouteille en verre.

– On n’ira pas loin avec ça.

– ça… On va devoir trouver d’autres victuailles.

Elle réfléchit un instant.

– J’ai entendu dire qu’il y avait de quoi vivre paisiblement dans les villes du nord. De la nourriture, de l’eau, il y aurait même des médecins.

Il fit un signe d’approbation.

– C’est ce que j’ai entendu aussi. Mais on n’a aucune garantie.

– Ouais. Qu’est-ce qu’on fait alors? De toute façon, on ne peut pas s’installer là. On ne survivra pas.

Il posa les mains sur ses épaules.

– Ne t’inquiètes pas. On va trouver une solution.

Il esquissa un sourire… qu’elle lui rendit.

Il réfléchit.

– A l’est du village, j’ai repéré une ferme. Il y a peut-être de la nourriture.

– Ouais, on peut tenter.

Ils hésitèrent quelques minutes. Ils n’avaient pas vraiment le choix, elle le savait.

– Autant partir tout de suite, la pénombre nous cachera.

– Oui… et nous empêchera de nous orienter correctement aussi. Il fait toujours nuit noire.

Que faire ? La nuit leur permettrait d’échapper aux soldats mais les désorienterait. Attendre l’aube serait aussi risqué : ils seraient beaucoup plus visibles et leurs visiteurs pourraient avoir l’envie de revenir.

– Il faut se décider ! Elle trépignait, de peur.

– Calme-toi. Ça sert à rien de s’énerver.

Il décida.

– On va rester cachés pour le moment, on est épuisés.

– Ouais.

Par sécurité, ils retournèrent sous le lit, l’un contre l’autre. Ils fermèrent les yeux et s’abandonnèrent au sommeil.

Quand Héloïse revint à elle, il faisait déjà moins sombre. Elle releva la tête et entendit le doux ronflement d’Angus. À regret, elle le réveilla.

– Quoi ?

– C’est l’heure.

– Hum ?

Il ouvrait péniblement les paupières.

Elle esquissa un sourire. Il avait sa bouille d’enfant qui peine à se lever.

– On doit y aller.

Il regarda autour de lui et constata la lumière déjà présente.

– Ouais.

Ils sortirent de l’ombre et rassemblèrent leurs affaires.

Rapidement, sans bruit, ils s’activèrent.

Prêts, ils se tinrent derrière la porte du logement. Après quelques secondes sans rien entendre, Angus tourna lentement la poignée et jeta un œil sur le palier.

Du sang ! Partout sur le sol ! Il s’avança légèrement pour regarder en bas des escaliers. Ils semblaient seuls.

Héloïse découvrit alors un sol rouge-noir. Les planches sur lesquelles elle se tenait brillaient d’une substance spongieuse, collant à ses vieilles bottes, déjà en piteux état. À chaque pas, il fallait forcer pour soulever le pied du liquide gluant. On voyait clairement des traînées partir des deux portes adjacentes et descendre les marches pour sortir au rez-de-chaussé.

Elle sentait son cœur palpiter, son corps trembler. Ses yeux, écarquillés, fixaient cette masse sombre sans la voir. Sa gorge se serrait mais aucun son ne sortait de sa bouche ouverte. Elle voulait crier mais restait muette. Elle entendait… son pouls dans ses oreilles. Elle ne pensait plus, ne sentait plus, ne voyait plus, n’entendait plus. Elle était là, aussi immobile et pâle qu’une statue de cire ou une marionnette creuse, vide de sensations, d’émotions… vide d’elle-même !

– Tu vas te réveiller, bon sang !

Angus !

Ses pupilles réagirent et le virent. Elle sentit enfin… les mains d’Angus sur ses épaules.

– Tu m’entends ? Il parlait fort.

Elle acquiesça d’un signe de tête.

Il retira ses doigts.

– Allez viens ! On ne doit pas traîner.

Elle lui emboîta le pas.

Il avait dû la secouer pour qu’elle réagisse, ses doigts agrippant profondément ses épaules. Il lui avait même fait mal, il en était certain. Elle aurait des bleus.

Ils descendirent lentement, décollant leurs semelles à chaque degré. Les murs étaient mouchetés de taches de sang. Ils s’agrippaient à la rambarde, veillant à ne toucher aucune tache rougeâtre. Ils arrivèrent dans une mare paisse et dégoûtante. Ils s’avancèrent vers la sortie, s’arrêtèrent. Leurs mains s’effleurèrent du bout des doigts. Ils échangèrent un regard.

Ils devaient fuir, ils n’avaient pas le choix.

Héloïse tourna la poignée et le bois se mit à grincer.