Genesis Utopie chapitre 4

Chapitre IV

Les traces de sang continuaient sur quelques mètres, puis s’arrêtaient net, au beau milieu de la rue.

– Ils ont emportés les corps dans une voiture.

La neige rougie était creusée par des empreintes de chaussures et deux traits parallèles qui disparaissaient à une centaine de mètres à gauche, derrière une barricade de bouts de bois et de planches entassés, d’une hauteur de deux mètres environ. De l’autre côté, à trois-cents mètres à droite, se trouvait la place du village qu’Héloïse avait traversé la veille.

Héloïse fit quelques pas.

– De quel côté est la ferme ?

– Il faut passer par la place principale.

Elle tressaillit :

– Regarde, le rue est étroite et bordée d’habitations. Aucun moyen de se cacher.

– On va faire vite.

Ils parlaient bas et se recroquevillaient sur eux-mêmes. La neige tombait lentement.

Leurs yeux guettaient le moindre mouvement, le moindre détail suspect. L’un derrière l’autre, ils avançaient le plus rapidement possible, tout en restant prudents, même s’ils avaient conscience qu’il n’y avait aucun endroit où se cacher. Ils étaient à découvert, peu importe à quel point ils tentaient de se rendre invisibles. Leurs pas laissaient des traces.

Ils progressaient nerveusement, dépassant des façades délabrés, des portes arrachées. Ils approchaient de la place principale. Ils s’arrêtèrent trois mètres avant d’y pénétrer.

Ils s’engouffrèrent dans un renfoncement, contre une porte défoncée. Là, en silence, ils écoutèrent… le moindre bruit. Ils s’efforcèrent de respirer le plus silencieusement possible.

L’épaule droite contre la porte, Héloïse observa l’inscription qui était gravée sur la pancarte. Peinture rouge sur support blanc : La bille de bois. Elle poussa légèrement et jeta un oeil par l’ouverture. Elle vit à terre une boite éventrée. Elle passa la tête, ne vit personne, donc entra. A la faible lueur du jour, elle distingua des formes. Une table gisait au sol, parsemées de taches rouges, jaunes et bleues. Des morceaux de bois brisées semblaient être autrefois un plateau d’échecs, dont les pions s’étaient réfugiés sous les décombres d’un vieux meuble éventré. Des bonshommes de métal de tailles différentes avaient échoué à garder leur habitat en sécurité. L’un d’entre eux gisait entre les morceaux de verre, un éclat planté dans le torse. de la peinture rouge sortait de sa chemise de coton verte et jaune. A ses côtés, des cubes multicolores munies de lettres en relief, reposaient au sol, éparpillés.

Sans doute à cause de l’ombre, Héloïse ne discerna pas tout de suite des traces rouges et poisseuses provenant de l’arrière-boutique. Il n’y avait pas un bruit. Même Héloïse ne bougeait pas, par peur d’interrompre le silence et de se faire surprendre dans un lieu où elle n’avait rien à faire. Elle savait que le moindre pas révélerait sa position. Elle ne pouvait prendre ce risque. Elle jeta un coup d’oeil vers Angus : il était toujours là, immobile, guettant les bruits. D’un geste de la tête, il lui fit signe de la rejoindre. Elle sortit de la pénombre et retourna affronter le froid.

Angus avança lentement la tête au coin de l’immeuble : la place semblait déserte. L’unique réverbère encore en état de marche illuminait faiblement les lieux, à travers son verre givrée. Il permettait de voir, au centre de la place, un tas de bois étrange, comme explosé. En y regardant de plus près, Angus discerna une roue cassée, près d’une sorte d’hélice en bois.

– Héloïse, viens voir !

Elle reconnut de quoi il s’agissait :

– C’est la voiture que j’ai pris pour venir.

Ils patientèrent un instant.

– Elle ne bouge pas !

Ils échangèrent un regard inquiet. Aucune trace de vie autour d’eux, l’immobilité. Lentement, scrutant le moindre mouvement autour d’eux, ils progressèrent en direction de l’engin, en se faufilant derrière des tonneaux, des pierres et des restes de bacs à fleurs.

Ils s’arrêtèrent. De leur cachette, ils voyaient très nettement l’intérieur du véhicule : désert. Il n’y avait pas l’ombre d’un voyageur. La place du chauffeur était elle-même vacante. Le sol de la voiture était maculée de sang. Le siège du conducteur en était aussi recouvert.

– Morts.

Il la regarda.

– Oui. Et les corps ne sont plus là.

Ils se recroquevillèrent. Le froid se faisait plus intense.

– Viens ! Faut pas traîner ici.

– C’est par où ?

– Là-bas.

Il désigna du menton un coin de la place, près de la rivière. Ils firent le chemin inverse pour revenir à leur point de départ, puis longèrent la barrière qui surmontait la rivière. Ils se savaient à découvert. A partir de la rivière, en contrebas, n’importe qui pouvait les voir. Le danger venait de tous les côtés.

Ils devaient prendre la ruelle de gauche. Ici aussi, les portes des habitations étaient grandes ouvertes et les seuils étaient envahis de neige. Certaines fenêtres étaient munies de rideaux et le duo se demanda s’il n’y avait pas quelqu’un caché derrière, qui les observait. Leurs empreintes représentaient un risque supplémentaire.

Ils tournèrent au coin de la rue, à gauche. A cinquante mètres d’eux, la route tournait vers la droite, les empêchant d’avoir une grande visibilité. Ils avancèrent lentement, Angus scrutant devant eux, Héloïse jetant des coups d’oeil en arrière. Ils s’agrippaient par la main, malgré leur peau glacée.

Ils avançaient pas à pas, collant les murs de gauche. La vue s’élargissait. La rue continuait à perte de vue, bordée par des habitations sur la droite et le bord de la rivière à gauche. De ce côté-là, ils seraient à découverts et visibles des habitations de l’autre rive, malgré la rangée d’arbres en bordure.

Ils se regardèrent, les yeux désolés. Si quelqu’un les voyait, ce serait terminé. Ce serait leur arrêt de mort. Ils s’accroupirent, se cachant derrière le muret qui longeait la rivière. Dans cette position, ils avancèrent le plus rapidement possible, l’un derrière l’autre. Fort heureusement, à leur droite défilaient des murs de deux mètres environ. Invisibles sur les côtés, le danger pouvait néanmoins venir de devant eux et dans leur dos.

– Elle est juste là.

Angus désigna un portail à une vingtaine de mètres. Ils continuèrent leur progression.

Ils s’arrêtèrent devant le portail. Un coup d’oeil de chaque côté et toujours accroupis, ils s’y précipitèrent. Ils poussèrent les barreaux de fer, qui crissèrent et ils pénétrèrent ainsi dans un jardin d’herbes hautes. La ferme était une vieille bâtisse aux volets gris fermés. Assez grande, elle semblait avoir plusieurs étages.

Arrivés devant la porte, ils regardèrent en arrière.

– La dernière fois que je suis venu, il n’y avait personne.

Elle lui fit un signe de la tête et Angus poussa la lourde porte de bois.

À suivre