Nouvelle : Une heure

Mes yeux s’ouvrent puis se referment. Mes paupières me font mal… Je souffle nonchalamment, j’ouvre un œil, puis l’autre. Flou. Je distingue une lueur verte dans la pénombre : mon réveil…

Une heure.

Je reste allongé, fixant ce chiffre un et les deux zéros qui le suivent, comme captivé. Mes yeux ne peuvent s’en détacher. Tac ! Une heure une. Mon corps ne bouge toujours pas. Trop fatigué. J’expire nerveusement par les narines.

Je me tourne enfin de l’autre côté. J’ai froid. Je remonte la couverture jusqu’à mon cou et m’y blottis. Mon lit est grand, en tout cas, assez pour deux. Malheureusement, j’y suis seul. Je me tourne sur le dos et étire mes bras en croix. Je caresse les bords du lit du bout des doigts. Les draps sont frais.

Je clos mes paupières et me laisse aller. J’étire mes jambes et mes pieds. Ma respiration ralentit, tout en se faisant plus bruyante.

J’entends le bruit de la pluie. Six heures. Les gouttes s’écrasent mollement sur les volets. Je me lève, les ouvre… L’odeur de la terre mouillée… Et ce vent, léger, froid… Mes poils se hérissent sur mes bras. Un frisson parcourt tout mon corps, je tremble. Je ferme les yeux et reste un moment immobile. Le tonnerre gronde.

Je referme la fenêtre et m’allonge sur mon lit. Que faire ? Je n’ai plus sommeil.

Cela fait maintenant vingt jours que je suis enfermé chez moi, dans mon vingt mètres carré. Je n’ai rien à faire pour le moment.

J’ouvre mon réfrigérateur. Pas grand-chose. Une boite de thon, un vieux morceau de fromage, un bocal d’olives à moitié vide. Ah ! Si ! Un reste de coquillettes d’hier. Mieux que rien.

J’allume la télévision et mange devant, directement dans la casserole. Ouf ! Ça a du mal à passer. Les programmes sont tous les mêmes, quel que soient les chaînes : des dessins animés ou des clips musicaux. Arf ! Ras-le-bol de cette soupe auditive, plutôt un chat roux qui parle. Je somnole devant l’écran.

La vaisselle s’accumule dans l’évier. Bof… Je la ferai plus tard, ça dérange qui ? Des papiers, des cartons, des bouts de plastique… Mon sol en est jonché. Tant pis. Ça ne m’empêche pas de marcher et de me glisser sous ma couette, bien au chaud. J’attrape la télécommande à côté de mon oreiller et saisis le premier livre qui me tombe sous la main. L’histoire commence par un jeune homme qui part à Paris, avec un cheval jaune que son père lui a donné. Mes yeux fatiguent dès la troisième page.

La nuit tombe déjà quand je reprend conscience. J’entends les voisins fermer leurs volets. Je regarde et voit le capharnaüm autour de moi. Je saisis mon téléphone : pas de message. J’active le wifi : indisponible. Mieux vaut rester au lit et dormir. Plus tôt je me couche, plus vite le temps passe.

Une heure, encore.

Je fixe le plafond. Blanc… ou plutôt noir, dans la pénombre. Je devine la délimitation des murs, des meubles, des portes. Une faible lueur passe à travers la fenêtre. Je plisse les yeux et devine les vêtements au sol.

J’entends le vent dans les arbres, le bruit des feuilles qui se frottent et se balancent. Le son est doux, lent, reposant.

Quoi ? Ah ! Le réveil. Dix heures. Vingt-et-un jours maintenant que je suis enfermée chez moi. Je respire lentement, profondément. Pourquoi ai-je programmé cette sonnerie ? Aucune idée. Je n’ai rien à faire de ma journée, comme hier… et demain.

Je me tourne plusieurs fois dans mon lit. Sur le dos, le côté droit, le gauche, le ventre… Je recommence maintes fois, enlève mon oreiller, puis le remets… Impossible de trouver une position confortable. Je ne dors que sur une petite partie de mon matelas… mais personne n’occupe le reste, et le drap est toujours froid à cet endroit.

Je vais aux toilettes, me lave les mains soigneusement, les essuie. J’avale un vieux quignon de pain qui traîne dans un placard depuis trois jours. Est-ce qu’il y aurait enfin… ? Non. Toujours pas d’internet. Autant me recoucher. Je ferme les yeux et me laisse emporter.

Une heure, toujours. Il pleut encore. La pluie est intense cette fois, les gouttes tambourinent à la fenêtre. Non. De la grêle. Je les entend frapper violemment dans la vitre. Enfin, il se passe quelque chose. Je savoure le spectacle, plus auditif que visuel, nuit oblige. Le son me berce, je me laisse aller.

Les jours passent.

Huit heures, enfin. Qu’est-ce que ? Hein ?

Trentième jour, je crois ou peut-être plus. J’entends quelque chose… Serait-ce… ? Non.

Je me lève tout doucement et m’approche de la source sans faire le moindre bruit. C’est là. Ce bruit aiguë… Je… Un sourire se dessine sur mon visage, mes yeux s’ouvrent et voient…

Un oiseau s’est posé sur le rebord de ma fenêtre.